Aujourd’hui entretien avec Shaun Hamill, auteur de Une cosmologie de monstres édité chez Albin Michel ImaginaireUne histoire qui mêle brillament le mythe de H.P. Lovecraft à l’histoire d’une famille d’aujourd’hui menacée de destruction par des forces surnaturelles (c’est Stephen King qui le dit).

Bonjour Shaun ! Encore merci d’avoir accepté de répondre à mes questions sur votre livre (que j’ai beaucoup apprécié) et votre travail. Pourriez-vous nous parler de vous ?

Shaun Hamill — photo Rebekah H. Hamill

Merci beaucoup pour le compliment et pour la demande d’interview ! Une courte présentation : j’ai grandi à Arlington, Texas, une banlieue de Dallas. J’ai obtenu une licence d’Anglais à l’Université du Texas à Arlington en 2008, et un Master à l’atelier d’écriture de l’Iowa à Iowa City, en 2016. Une Cosmologie de monstres a été mon travail de master et mon premier roman publié. En ce moment, je vis dans un coin rural de l’Alabama, où je travaille le jour et écris la nuit. J’ai toujours aimé les histoires d’horreur, mais j’ai seulement commencé à écrire dans ce genre au cours de ces dernières années.

De quand date votre première rencontre avec HPL ?

Honnêtement, je ne me souviens pas. Je pense que j’en avais connaissance quand j’étais ado, parce que Stephen King y fait référence dans Danse Macabre et On Writing, mais je n’ai rien lu de Lovecraft avant l’université. J’avais un ami grand fan de Cthulhu, et sur ses recommandations, j’ai lu At the Mountain of Madness. Je n’avais jamais rien lu de tel auparavant, et je pense toujours que c’est le chef d’œuvre de HPL (même si ma préférence va à The Shadow Over Innsmouth).

Votre premier livre a attiré l’attention ! Stephen King l’a encensé, et vous avez été sélectionné aux Imaginales « Roman étranger traduit» ! Que vous inspire tout ça ?

L’intérêt pour le livre a dépassé tous mes espoirs et toutes mes attentes. Avant que mon agent et moi ne le soumettions à des éditeurs en Amérique du Nord, je pensais sincèrement qu’il ne se vendrait pas. Je pensais que c’était trop étrange, pas assez effrayant pour être de l’horreur, et pas assez littéraire pour le public littéraire. Mais j’ai été agréablement surpris quand le livre s’est rapidement vendu en Amérique du Nord et complètement estomaqué quand Stephen King a écrit un petit mot pour parler du livre !

Le King himself !

Les lecteurs français semblent s’être connectés avec COSMOLOGIE avec plus d’enthousiasme que les lecteurs américains, ce qui a été extrêmement gratifiant. La nomination aux Imaginales (Roman étranger traduit) a été un grand honneur. J’étais désolé de l’annulation du festival cette année. Je ne suis jamais allé en France et j’attendais le voyage avec impatience.

Parlons de Lovecraft … Pourquoi avoir choisi Lovecraft comme référence tout au long du roman ?

Ça n’est pas quelque chose que j’avais prévu au départ, mais je lisais du Lovecraft les semaines avant de commencer Cosmology. Je me rappelle lire L’Appel de Cthulhu dans le bus pour aller en cours en 2014, il y a un magnifique passage (une des deux citations ouvrant le livre) à propos de rêves d’une cité cyclopéenne. J’ai aimé l’idée de Cthulhu qui communique avec l’humanité à travers les rêves d’artistes ou de poètes. La famille Turner est une famille de rêveurs et d’artistes, et j’aimais l’idée qu’ils soient en contact avec quelque chose de cosmique et de sombre en même temps. Tout a grandi organiquement à partir de cette petite connexion.

Lovecraft décrivait des personnages plats et interchangeables. Pour lui la psychologie était futile. La façon dont vous décrivez la famille Turner est à l’opposé. En dépit de leurs défauts, ils sont attachants. Alors comment cette saga familiale peut-elle être reliée au cosmicisme de Lovecraft, où les humains sont insignifiants au sein de l’univers ?

Je souscris à la vision de base de l’univers de Lovecraft, à savoir que l’humanité est insignifiante dans un univers chaotique. Mais alors que Lovecraft utilise ce cosmicisme comme base pour l’horreur, je trouve l’idée romantique. S’il n’y pas de Dieu, pas de vie après, pas de sens intrinsèque à l’univers, alors tout ce qui compte est comment nous vivons nos vies, particulièrement, comment nous choisissons de traiter nos proches. Ça paraissait un cadre formidable pour l’histoire d’une famille frappée par la maladie et la tragédie.

« Je me suis lis à collectionner les lettres de suicide de ma sœur Eunice à l’âge de sept ans. » (Traduction Benoît Domis, éditions Albin Michel Imaginaire). L’ouverture de votre livre est très lovecraftienne ! Michel Houellebecq appelle ce genre d’ouverture attaque en force (cf Lovecraft contre le monde, contre la vie). S’agit-il d’un hommage ou était-ce inconscient ?

Je dois reconnaître que c’est involontaire. J’ai trouvé cette phrase quand j’étais bien plus jeune, avant d’avoir lu Lovecraft, et j’attendais d’avoir la bonne histoire pour l’utiliser. J’adore que ça sonne comme du Lovecraft pour les lecteurs, malgré tout. Et peut-être que cela explique pourquoi j’étais tant attiré par Lovecraft lors de l’écriture du livre.

À propos de Houellebecq, avez-vous lu son livre ou d’autres essais pour préparer votre travail ?

Je l’ai lu. J’ai eu la chance de trouver une traduction en anglais dans ma librairie. J’ai aussi lu le travail universitaire de S.T. Joshi, qui a fait beaucoup pour faire connaître Lovecraft et le genre weird au grand public aux Etats-Unis, ainsi que The New Annotated H.P. Lovecraft de Leslie Klinger, qui propose une mise en contexte historique et biographique autour des meilleurs textes de HPL.

Les personnages de Lovecraft finissent en général fous (ou pire) en face de l’inconnu. La façon dont avez décidé de faire interagir Noah avec le monstre (qui pourrait correspondre à l’Autre dans les textes de HPL) est aussi une façon très intéressante et moderne de traiter la peur de l’inconnu lovecraftienne. Pourriez-vous nous parler de cela ?

HPL était terrifié par l’Autre, mais il a aussi quelques histoires (The OutsiderThe Shadow Over Innsmouth) où il s’avère que le narrateur est l’Autre. J’avais envie d’explorer cette idée plus avant, en faisant de la famille Turner des étrangers à leur façon (Noah et Eunice en étant les deux exemples les plus évidents). J’étais également intéressé par l’idée d’utiliser la peur de l’autre de Lovecraft pour la bouleverser. Que se passerait-il si le narrateur n’était pas effrayé par le monstre, mais attiré par celui-ci ?

Toujours à propos de monstres, pourriez-vous expliquer le titre du roman Une Cosmologie de monstres ?

Cosmologie a un double sens en anglais. L’un est une branche de l’astronomie qui traite des origines, structures et des relations spatio-temporelles de l’univers, et l’autre est une branche de la métaphysique qui traite de la nature de l’univers. Je pensais que c’était une description très appropriée des thèmes du livre, dans le sens astronomique avec l’origine et les lois gouvernant la famille Turner comme elle apparaît dans le livre, et dans le sens métaphysique, les Turner se heurtant à la nature cosmique de l’univers. Tout ça semble très clinique, mais le processus pour arriver à ce titre a été très intuitif.

Vous avez écrit un bel essai « Contending with the legacy of Lovecraft ». Il y a une idée que je trouve très intéressante est comment le passage de l’administration Obama à celle de Trump vous a amené à changer votre façon d’aborder le racisme de Lovecraft. Pourriez-vous expliquer cela ? Comment avez-vous réussi à utiliser Lovecraft tout en en prenant vos distances ?

Je suis ravi que vous ayez aimé l’essai. Je pense qu’il m’a coûté une partie de mon lectorat américain. Quand j’ai démarré le livre, je vivais et travaillais dans une communauté d’auteurs très diverse et « libérale ». Je pensais que le pays se dirigeait dans une direction libérale avec notre premier président noir, et j’espérais avoir notre première présidente au cours du cycle d’élections suivant. Je savais bien le racisme, l’homophobie et la haine étaient encore des problèmes, mais la plupart des racistes que j’avais rencontrés dans ma vie personnelle étaient des ignorants sans vrai pouvoir. Je les considérais comme la minorité, et je me pensais en sûreté en abordant Lovecraft et en moquant de ses préjugés.

J’ai vraiment été choqué par le tour qu’a pris le pays fin 2016, quand les crimes de haine ont rebondi et que les lynchages sont revenus. J’avais déjà écrit un premier jet du livre au moment de l’élection de Trump, et Lovecraft y était lié de façon inextricable. Ma solution a été, dans mes révisions, d’accentuer et de prioriser ce point de vue de l’Autre mentionné plus haut. J’ai essayé de détourner l’attention des personnages normaux / plats que Lovecraft considérait comme des héros vers des personnages qu’il aurait évités ou transformés en méchants. Je ne me sentais pas qualifié pour aborder le point de vue de Lovecraft sur la race, alors je me suis plutôt concentré sur la sexualité et la maladie mentale.

Pensez-vous qu’écrire sur Lovecraft ou utiliser le Mythe est toujours possible dans l’Amérique de Black Lives Matter ?

En tant qu’hétérosexuel blanc, je ne sais pas si je pourrais prendre cette décision. Mais en tant qu’auteur d’un livre lovecraftien, j’espère que c’est possible ! Je pense que la clé est de s’assurer que les écrivains soient conscients des aspects problématiques de l’œuvre de Lovecraft et soient décidés à les aborder de manière honnête.

Dans cet essai, vous citez plusieurs livres dont La ballade de Black Tom de V. LaValle, La Quête de Vellit Boede K. Johnson, Lovecraft Country de M. Ruff ou I am Providence de Nick Mamatas. Est-ce qu’explorer le Mythe et la peur de l’Autre du point de vue des minorités est un bon moyen de déconstruire le racisme et la xénophobie de HPL ?

Je pense que c’est le meilleur et plus puissant moyen de déconstruire son racisme et sa xénophobie, de l’intérieur, du point de vue de la minorité. C’est ce qui rend les récits mentionnés si puissants.

En plus de ces auteurs, quels sont vos écrivains favoris ?

J’aime Shirley Jackson, S.P. Miskowski, John Langan, Laird Barron, John Irving, Joe Hill, Andy Davidson, Gemma Files, Livia Llewellyn, Clive Barker, Thomas Ligotti, Meg Wolitzer, Benjamin Percy, Michael Chabon, et Lev Grossman. Je dois sans doute en oublier, mais ce sont quelques uns.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? Une suite d’Une cosmologie de monstres est-elle prévue ?

Je travaille en ce moment sur un autre roman, que je décrirais comme du « gothique de banlieue ». Il devrait plaire aux fans de Cosmology, il partage beaucoup de la même texture et feeling.

Je ne suis pas certain d’écrire une suite à Une Cosmologie de Monstres. J’ai une histoire de base prête pour au moins un livre de plus. Je serais heureux de l’écrire, mais ça dépendra de la demande. Si Cosmology se vend assez bien ici aux Etats-Unis et à l’étranger, mon éditeur pourrait être intéressé. Sinon, je suis aussi content de là où l’histoire s’arrête actuellement. Je pense que ça fonctionne bien comme ça.

Un grand merci pour toutes ces réponses !

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