Rencontre aujourd’hui avec Matt Ruff, auteur du roman Lovecraft Country. (Pour ceux qui vivraient dans une grotte depuis 6 mois le roman a été adapté en série par HBO.)

Bonjour Matt, merci encore d’avoir accepté de répondre à mes questions. Pour ceux qui ne vous connaissent pas encore, pourriez-vous présenter ?

Matt Ruff © 2019 Lisa Gold

Bonjour ! Je suis un auteur américain de sept romans, parmi lesquels La proie des âmes et Bad Monkeys. Je suis connu pour écrire dans des genres différents. Lovecraft Country est mon premier roman horrifique.

De quand date votre première rencontre avec Lovecraft ?

Je ne me souviens pas vraiment, mais certainement quand j’étais très jeune. Gamin, je lisais beaucoup d’horreur. Je me souviens qu’au début je préférais les imitateurs de Lovecraft — ceux qui prenaient ses thèmes mais en les ré-écrivant dans un style plus moderne. En vieillissant, j’ai commencé à plus l’apprécier.

Quels sont vos histoires préférées ?

Weird Tales — Janvier 1942 — CANADA

Mes trois préférées sont The Shadow Over InnsmouthAt the Mountains of Madness, et The Call of Cthulhu.

Comment vous est venue l’idée d’écrire Lovecraft Country ?

Lovecraft Country — Matt Ruff

Lovecraft Country a démarré comme un pitch infructueux de série TV. Je voulais faire une série comme X-Files, avec un casting de personnages récurrents vivant des aventures paranormales, seulement au lieu d’être des agents du FBI blancs des années 1990, ma série devait parler d’une famille propriétaire d’une agence de voyages à Chicago dans les années 1950. À l’époque (en 2007) je n’ai pas réussi à convaincre les gens des studios, alors j’ai décidé de ré-imaginer l’histoire comme un roman à épisodes.

Pourquoi avez-vous décidé d’inclure Lovecraft dans le livre et son titre, alors qu’on ne rencontre ni l’homme ou son mythe dans le livre ?

J’avais besoin d’un pont thématique entre l’horreur surnaturelle et les terreurs bien réelles du racisme. Lovecraft est parfait pour ça : il est l’un des plus importants auteurs horrifiques du XXè siècle, mais il était également clairement un suprémaciste blanc. Donc, le titre Lovecraft Country, fait allusion à la fois au paysage paranormal où vivent les monstres et aussi à l’Amérique blanche, où vivent des monstres.

Habituellement, dans les histoires de Lovecraft, les protagonistes sont des hommes blancs qui font face à des horreurs auxquelles ils ne sont pas préparés. Est-ce que raconter les aventures de héros noirs a changé la façon dont vous avez imaginé leur manière de faire face à l’horreur et au surnaturel ?

La chose intéressante est que faire face aux épreuves du racisme de la vie de tous les jours, comme le font mes personnages, les prépare bien mieux à accepter et affronter les horreurs surnaturelles. Si vous avez survécu à quelque chose comme les émeutes raciales de Tulsa en en 1921 (quand des citoyens blancs en Oklahoma on réduit en cendres un quartier noir prospère) découvrir un monstre sous votre lit n’est pas si grave.

Bâtiment en feu lors de l’émeute raciale de Tulsa.Domaine public

La littérature pulp des années 50 (et même avant) ne traitait pas vraiment les noirs avec le respect qui leur est dû. Pourtant, vos héros sont des fans de SF ? Pourquoi ?

Pour la même raison pour laquelle les blancs sont fans de science-fiction : la SF c’est cool. Les lecteurs noirs ont toujours aimé la littérature pulp. Le problème est que, jusqu’à très récemment, la littérature pulp (et ses auteurs) ne leur rendait pas cet amour.

Vous avez déclaré que votre livre et celui de Victor LaValle, La Ballade de Black Tom, sont sortis le même jour. Vous et Victor LaValle questionnez le racisme et la xénophobie de Lovecraft en utilisant des personnages qu’il aurait mis de côté. Imaginer des personnages noirs dans des histoires lovecraftiennes, est-ce une façon de détourner le racisme de HPL ?

Oh oui bien sûr. Je ne décrirais pas ce que j’ai fait comme un détournement. Mon objectif dans Lovecraft Country n’était pas de se venger de Lovecraft, ou de tout autre auteur blanc. J’ai juste pris certains des éléments et tropes les plus intéressants de son œuvre pour en faire quelque chose de différent. Et j’ai essayé de décrire, le plus fidèlement possible, la difficulté que pouvaient éprouver les lecteurs noirs à aimer une littérature qui ne leur laissait pas de place.

Forcément, on allait en parler … Lovecraft Country a été adapté en série sur HBO ! Comment tout ça est arrivé ?

Mon espoir caché lors de l’écriture de ce roman était qu’il serve de proof of concept que cette idée fonctionne en tant que série TV. Ça a finalement marché au-delà de mes espérances quand Jordan Peele a eu une exemplaire du livre. Il venait de finir Get Out et cherchait le projet suivant. Le succès de Get Out lui a facilité la tâche pour vendre l’idée de série à HBO.

Êtes-vous content que Jordan Peele (et J.J. Abrams ! ) produisent le projet ?

Je suis ravi. Si vous avez vu Get Out, vous aurez remarqué que Jordan et moi sommes très semblables dans ce que nous voulons faire. Et je suis un grand fan de J.J. aussi, depuis Alias. J’aimerais aussi citer Misha Green, qui est la showrunner pour Lovecraft Country. J’étais très content d’apprendre que Misha était impliquée, j’avais aimé sa série Underground.

A propos de producteur, que est votre rôle dans cette production ?

Officiellement, je suis “consulting producer », ce qui signifie que je peux proposer des idées ou répondre à des questions. J’ai transmis mes notes et mes recherches à Misha Green avant qu’elle n’écrive le script, j’ai visité le plateau de tournage plusieurs fois. Je n’ai pas été impliqué dans la production quotidienne de la série, mais ça me va. J’avais d’autres projets sur le feu, comme mon dernier roman 88 Names.

Lovecraft Country aborde le problème des violences policières. Lovecraft Country sort en plein mouvement Black Lives Matter. Quel est votre sentiment ?

Honnêtement, j’aimerais que l’histoire ne soit pas tant d’actualité. Mais à vrai dire, on aurait pu lancer Lovecraft Country n’importe quelle année, il y aurait toujours eu quelque chose dans l’actualité pour le rendre opportun, sinon la violence policière, alors les discriminations au logement, ou tout autre héritage de la ségrégation.

Prévoyez-vous d’écrire une suite à Lovecraft Country ?

J’ai écrit une partie de suite, et pour l’instant j’en suis très content. Le seul problème est que si je la finis, elle fera plus d’un seul livre, au moins deux voire trois. C’est un grand engagement pour quelqu’un qui écrit aussi lentement que moi, et j’ai d’autres histoires que je veux raconter. Alors on verra bien.

Un grand merci pour vous réponses !

Avec plaisir !

Vous pouvez retrouver le site de Matt Ruff ici. Il a récemment publié une série d’articles très intéressants sur des films d’inspiration lovecraftienne et c’est à lire ici.

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