Questions aujourd’hui à Huan Vu, réalisateur allemand du film Die Farbe, adaptation de The Colour out of Space. Cet entretien est proposé en deux parties …
Bonjour ! Tout d’abord merci d’avoir accepté de répondre à mes questions ! Pourriez-vous vous présenter ?
Bonjour ! Je m’appelle Huan Vu, je suis un réalisateur de films, auteur et producteur en Allemagne. Je travaille en tant que directeur artistique de vidéos interactives éducatives près de Stuttgart, qui est principalement connue pour son industrie automobile, mais qui est aussi l’un des hubs pour les effets spéciaux de l’industrie internationale du film. J’ai étudié ici à la Grande École des Média où j’ai rencontré Jan Roth, artiste 3D et co-producteur du film Die Farbe.
Notre film était au départ notre projet de fin d’année en 2007, mais nous avons décidé de le réaliser un an après, juste après nos études, à notre façon, ce qui fut une très bonne décision. Nous n’avons pas eu d’aide de la part de notre université, mais nous avons pu prendre notre temps pour le finir correctement.
Qu’est-ce qui vous a amené à la réalisation de films ?
J’ai commencé à réaliser de petits films avec mes amis avec une caméra Mini-DV achetée avec le salaire gagné lors de mon année de service civique (c’est une alternative à l’année de service militaire qui était alors obligatoire). C’était naïf, mais je pensais vraiment que l’on pouvait réaliser de vrais films à l’aide de ces nouvelles caméras numériques abordables tout en utilisant des ordinateurs personnels pour le montage et les effets.
Je me suis lancé, et étant un grand fan de Warhammer 40 000 j’ai commencé Damnatus qui est devenu un gros projet de fan-film. C’était en 2003, avant même mes études. Ça nous a pris plusieurs années et nous avons dû faire face à des problèmes légaux avec Games Workshop, la compagnie derrière le jeu de plateau, mais nous l’avons fini pendant mon année à l’université. J’ai beaucoup appris sur la réalisation et j’ai adoré ça. Et comme nous ne pouvions pas sortir et promouvoir Damnatus gratuitement sur Internet, nous avons dû réaliser un autre film.
Quels sont les réalisateurs qui vous influencent ?
Question difficile. En fait, cela dépend du moment où on pose la question et de quel aspect de la réalisation on parle. Mon expérience de film d’horreur la plus terrifiante a été « Alien » quand j’avais seulement 6 ans. C’est certain que quelque chose comme ça restera à jamais gravé dans mon esprit… Merci Ridley Scott de m’avoir traumatisé !
À mes débuts Peter Jackson a sans doute joué un grand rôle, la trilogie du Seigneur des Anneaux ressemblait à un film indépendant en mode DIY et les nombreuses vidéos de making of m’ont beaucoup appris. Ça c’est pour le côté production.
Matrix m’a beaucoup appris sur la construction d’un univers et l’usage de la mythologie dans les films. À la fin des années 90 et début 2000, il y a aussi eu une vague de film « tordus » qui racontaient des histoires d’une nouvelle façon, comme le Sixième Sens, Memento, Fight Club, The Machinist, Requiem for a Dreamet Donnie Darko. Ces films m’ont appris qu’on pouvait créer quelque chose d’envoutant et de vertigineux jute en le racontant de la bonne manière, sans nécessairement avoir besoin d’un gros budget. Et ces films m’ont parlé, ils collaient avec une époque où le monde devenait mois clair et plus complexe et déroutant.
Si on me demande ce qu’il en est maintenant, je citerais Denis Villeneuve, James Grey et Darren Aronofsky comme réalisateurs que j’admire. J’aime la façon qu’ils ont de maîtriser et en même temps de faire avancer les films de genre.
Mais il y en a beaucoup d’autres, des films comme Inception, le Labyrinthe de Pan, The Fall, Upstream Color, Nocturnal Animals qui m’ont accompagné et qui sont devenus une partie de ma façon de penser. Sans oublier les films d’animation, mon film favori de tous les temps depuis mon adolescence est Akira et je suis un grand fan du travail de Satoshi Kon.
Donc, pour faire court : mythologie et mindfuck “nique-tes-méninges”(traduction©Nikolavitch)c’est ce qui semble m’attirer la plupart du temps. Ce qui colle bien avec H.P. Lovecraft je pense.
De quand date votre première rencontre avec Lovecraft ?
J’ai rencontré le co-producteur de Die Farbe, Jan, à l’université et il m’a donné des bouquins. C’est comme ça que je suis tombé dedans et que j’ai décidé de réaliser Die Farbe. J’avais entendu parler de Lovecraft avant ça, en jouant à Arkham Horror avec des amis ou en lisant des choses à propos de son influence dans Alien ou X-Files, mais jamais lu quoi que ce soit avant ça. Et alors ça a été : Wow, c’est ça la source de tout ça ! Ce type a tout lancé !
Quel est votre texte préféré ?
C’est vraiment The Colour out of Space (et Lovecraft lui-même le disait). Elle sort du lot pour moi parce qu’elle parle d’une forme de vie extraterrestre qui est tellement extraterrestre, très loin de ces humanoïdes bipèdes que l’on trouve dans tant d’histoires d’autres auteurs.
Et elle si considérablement extraterrestre qu’elle transcende la conception humaine de bien et de mal. Lovecraft a marqué une étape importante dans son histoire : il ne raconte pas au lecteur, à travers le narrateur, ce qu’est l’horreur cosmique, (la petitesse et l’insignifiance de l’humanité sur notre petite planète) on le ressent directement à travers l’histoire. On se demande et on frissonne. Et c’est bien plus élégant que dans ses œuvres antérieures.
Comment vous est venue l’idée d’adapter The Colour out of Space ?
En cherchant un projet, je jetais des idées avec Jan et comme nous aimions tous les deux The Colour out of Space, nous sommes rapidement tombés d’accord. Mais je pense que cela ne serait pas arrivé s’il n’y avait eu au préalable l’idée de tourner en noir et blanc et donner une couleur seulement à la créature. C’était la question numéro un et nous l’avons résolue dès le début, ce qui nous a motivés tout au long de la production, étant donné qu’aucun autre film avant n’avait abordé cette histoire de la même façon. C’est toujours agréable d’avoir le sentiment d’être un précurseur, ou bien de penser être le premier à comprendre la bonne façon de le faire, comment lui rendre justice.
L’idée n’est pas venue de nulle part. J’avais vu peu avant le film d’animation français Renaissance avec un style en noir et blanc très marqué. Et il y avait aussi la Liste de Schindler tourné en noir et blanc avec l’utilisation du rouge pour faire ressortir une fillette juive à certains moments. Sans oublier Sin City. Et tous ces film expressionnistes de l’âge d’or allemand dans les années 20 que nous avions étudiés lors des cours d’histoire du cinéma à l’université.
Les paysages sont un personnage à part entière chez Lovecraft, ils participent à la création d’une atmosphère étrange / weird. Où avez-vous tourné votre film ? Avez-vous fait beaucoup de repérages avant de trouver le bon endroit ?
Nous avons trouvé nos décors assez rapidement, ce qui a été déterminant dans le montage de Die Farbe. Je connaissais beaucoup d’endroits pour des décors historiques, suite à un projet autour de la Révolution allemande ratée de 1848/49 que j’avais commencé durant mes études.
Le plus gros du film a été tourné dans un musée à ciel ouvert où ont été déplacés de vrais bâtiments ruraux historiques. Mais il nous a fallu vraiment trouver les bons emplacements et les bons angles pour rendre tout ça terrifiant. Notre talentueux directeur de la photo Martin Vincent Kolbert, heureusement, a le même goût et c’est pourquoi ces vieilles maisons allemandes avec leurs jardins et champs sont dépeints d’une toute autre façon dans notre film. En réalité elles sont plutôt confortables et les familles y affluent pour les visiter les week-ends et pendant les vacances.
Est-ce que ce projet a été difficile à monter ?
Rétrospectivement, ce n’était pas un projet très difficile, mais tout à l’air toujours plus facile après coup. Pour nous, à l’époque, c’était un énorme défi. Mais heureusement juste à notre portée. En tant que jeunes réalisateurs fraîchement sortis de l’université, nous avions conscience des obstacles et difficultés qui nous attendaient, mais pas tous.
Quels ont été les obstacles principaux ?
L’argent, toujours ! C’est amusant de regarder les problèmes qu’on avait maintenant que nous ne sommes plus étudiants. A l’époque, dépasser le budget de 500€ ça me rendait malade. Aujourd’hui c’est toujours embêtant mais on peut s’arranger. Nous avons plus d’argent et de sécurité grâce à nos professions et au financement participatif de The Dreamlands. Mais nos ambitions et exigences ont augmenté également, alors, finalement, rien n’a vraiment changé. C’est toujours très dur.
Nous avons découvert qu’il est plus difficile de trouver une équipe ou de l’aide. Nos amis ont vieilli en même temps que nous et c’est encore plus dur pour eux de trouver du temps hors du boulot et des tâches familiales. Il y a des nouveaux jeunes et étudiants en cinéma, mais beaucoup ont tendance à rester dans leur bulle. Et nous ne pouvons toujours pas payer les gens !
Combien de temps a duré le tournage ?
Il y a eu deux blocs de tournage, en tout un peu plus de 30 jours. Ce qui est plutôt normal pour une petite production, mais très rapide pour une petite équipe inexpérimentée avec un budget serré. La post-production a duré deux ans. La plupart des effets spéciaux ont été terminés par Jan et moi à la maison. On n’a pas vu grand monde ni beaucoup fait la fête pendant cette période.
Dans la nouvelle originale, la couleur est indescriptible. Était-ce difficile de s’arranger avec ça ?
Je pense qu’on n’aurait pas fait le film si nous n’avions pas eu le concept visuel dès le départ. Après on a pu se concentrer sur le reste. Du coup, de mon point de vue, ça n’était pas difficile. C’était du genre « ça ne peut être que comme ça » et ensuite « on peut le faire ou pas ? » Et on ne sait pas comment le public ou les fans vont réagir ? Mais ça, c’est la vie d’artiste. Il faut croire en ses idées.
Pourquoi avez-vous décidé de faire commencer le film dans les années 70 ?
Nous voulions rapprocher l’histoire d’aujourd’hui. Une des raisons était d’aider l’horreur de Lovecraft à s’intégrer à l’époque actuelle.
Une autre raison était pratique. Plus loin on va dans le passé, plus c’est difficile de trouver des endroits, des costumes et accessoires. C’est ce que j’ai retenu de mon projet 1848/49. Les deux guerres ont beaucoup modifié l’Allemagne, tout ce qui est avant 1920 est difficile à trouver.
J’ai choisi les années 30 pour l’histoire principale en flashback parce que j’avais cette image de GI’s américains fuyant la couleur … Je n’étais pas sûr à l’époque, c’était juste de l’instinct. Mais, rétrospectivement, ça a du sens de juxtaposer une couleur venue d’ailleurs avec l’impact du fascisme en Allemagne. Je me souviens que je conseillais aux acteurs qui jouaient la famille Gärtner de penser à l’isolation et l’indifférence dont souffraient les familles juives au cours des années précédant la prise de pouvoir des Nazis. Je leur disais que je ne voulais pas trop appuyer la comparaison. Aujourd’hui, je dirais, je ne saurais que trop insister sur cette comparaison. Ça ne veut pas dire que vous devez avoir cette lecture du film, mais si vous le voulez, vous pouvez.
Enfin j’ai choisi les années 70 pour l’autre niveau de temps, aussi à l’instinct. Les vêtements, les voitures, pas de moyens de communication modernes. Mais ça colle, c’était une période de changement. Les gens parlaient des squelettes dans les placards, l’Allemagne devait affronter son passé. Beaucoup de choses avaient été enterrées et resurgissaient. Les années 80 n’auraient pas aussi bien fonctionné. Pas seulement à cause des vêtements mais aussi parce que les gens pensaient que tout c’était fini et commençaient à regarder de l’avant. C’est comme dans ÇA de Stephen King, que j’apprécie beaucoup. Là, le présent est celui des tranquilles années 80 et les personnages sont surpris de découvrir que Grippe-Sou va revenir. Ca aurait été très différent si King avait placé tout ça dans la tourmente des années 70.
Pour moi, la version de Richard Stanley de The Colour out of Space joue sur une horreur très graphique alors que la vôtre, je pense, réussit à créer une impression unique d’étrangeté / weird très lovecraftienne. L’horreur vient de ce qui n’est PAS montré, de l’indicible comme dirait HPL ?
Absolument ! On pourrait même imaginer une adaptation de The Colour out of Space où on ne la voit jamais et où les gens ne font que l’évoquer. On serait proche des écrits de Lovecraft, très pur, mais aussi assez arty. Cela dépend vraiment de ce que l’on veut transmettre et comment on veut utiliser le langage cinématographique. La version de Richard Stanley se concentre davantage sur ce que la couleur fait alors que nous sous sommes plus intéressés à ce qu’elle est et ce qu’elle signifie. En dehors de la grosse différence de budget, c’est pourquoi son film est plus visuel que le nôtre.
Nous avions prévu de cacher la créature dès le début, nous avions prévu de la dévoiler à la fin. C’est seulement en la montrant sous sa vraie forme que le spectateur peut vraiment l’appréhender. L’envol des « bébé couleur » dans l’espace est un plan crucial. Ça n’aurait pas été pareil juste raconté par un vieillard. Pourtant, on ne peut pas vraiment être sûr que ce que l’on a vu est réel ou s’est réellement passé , en raison de notre scénario lovecraftien. Peut-être ce souvenir était-il une vision du futur ? C’est tout l’intérêt des films, ils sont comme les rêves. Très réels sur le moment, mais plutôt incertains quand on commence à y penser.
Je pense donc que l’horreur peut être créée en montrant quelque chose, puis en créant le doute en questionnant la réalité. Le spectateur devient une partie du puzzle et a le sentiment, pour bien comprendre, que certaines choses nous dépassent vraiment.
Il existe un autrefilm intéressant qui me rappelle La Couleur … de HPL, il s’agit de Annihilation (tiré du roman de Jeff Vandermeer), même si celui-ci n’est pas basé sur une histoire de Lovecraft. Que pensez-vous de ce film ?
Je l’adore. J’adore le final dans le phare. Une scène tellement étrange, avec une belle direction d’acteurs, écriture et jeu des acteurs. Cela compense les défauts qui sont disséminés dans la première partie du film comme les dialogues bancals et les personnages sous-exploités.
C’est un film très grisant cependant qui aborde les thèmes de l’auto-destruction et de la mutation, pas facile à appréhender. Peut-être qu’il me toucherait plus si j’avais souffert des mêmes maux ? C’est un de ces films qui s’inspire beaucoup d’une expérience personnelle. Il ne s’agit pas d’une adaptation « officielle » de The Colour out of Space » mais je pense qu’il fait partie de cette famille et je suis content qu’il existe.
Suite la semaine prochaine !