Rencontre avec Victor LaValle, auteur de La Ballade de Black Tom, paru au Bélial.

Bonjour Victor ! Merci encore d’avoir accepté de répondre à mes questions ! Pourriez-vous vous présenter ?

Victor LaValle © Teddy Wolff
Background Image © Giovanni Ossola

Ravi de discuter avec vous. Je m’appelle Victor LaValle et je suis l’auteur de sept fictions et d’un comic. J’écris de la fiction qui mêle les genres, en espérant en ressortir quelque chose d’intéressant. Je mélange l’horreur et le réalisme littéraire, mais j’ajoute parfois de la fiction spéculative ou de la SF au mélange. Mon roman le plus récent, The Changeling, a remporté le World Fantasy Award en 2018. Ma nouvelle, La Ballade de Black Tom (dont on parle ici) a gagné le prix Shirley Jackson et a été finaliste pour le Hugo, Nebula, et le World Fantasy Award entre autres en 2016.

Votre livre commence avec cette dédicace « À H.P. Lovecraft, avec tout mes sentiments contradictoires ». Pourriez-vous nous en dire plus sur ces sentiments contradictoires ?

Et bien je suis un homme noir et H.P. Lovecraft ne nous portait pas vraiment dans son cœur (comme avec presque tout le monde). Et pourtant on m’a fait connaître son œuvre suffisamment tôt dans ma vie pour que j’apprécie ses histoires bien avant de comprendre leur sous texte raciste et xénophobe.

Je ne suis pas pour qu’on ignore les défauts des artistes. En fait, leurs défauts font partie des raisons pour lesquelles on les apprécie. Les apprécier ne veut pas dire que je vais fermer les yeux sur les aspects dérangeants, limitants ou carrément repoussants. J’ai donc rédigé cette dédicace avec pour objectif d’être clair sur le fait que je ressentais à la fois de l’amour et du dégoût. Des sentiments contradictoires. C’est ce qui a nourri le livre.

Une histoire préférée chez Lovecraft ?

Tant ! The Colour out of SpaceDagonThe Dunwich HorrorThe Outsider. Il y en a tant, difficile d’en choisir une.

D’où vient l’idée de La Ballade de Black Tom ? Vous avez choisi The Horror at Red Hook comme point de départ. Pourquoi pas The Call of Cthulhu ou The Shadow over Innsmouth ?

Je voulais utiliser Red Hook, parce que c’est une des rares histoires de Lovecraft se passant à New York. Je ne peux pas faire mieux que lui quand il écrit sur Providence ou la Nouvelle Angleterre, je n’y suis allé seulement que quelques fois dans ma vie. Là, c’est lui l’expert, pas moi. Mais sa version de Brooklyn dans cette histoire, c’est complètement absurde. Je savais que je pourrais rendre justice à New York mieux qu’il ne pourrait jamais le faire. C’est pourquoi j’ai décidé d’utiliser ça à mon avantage.

Lovecraft à Brooklyn Heights en 1925 — Photo HPL.com

Avez-vous imaginé, à un moment, imiter le style de Lovecraft ?

Le style de Lovecraft était démodé quand il l’utilisait dans les années 30. Et il le faisait volontairement. Il voulait utiliser une langue remontant à une époque révolue. Mais même si je sais que ça sonnait démodé dans les années 30, en 2016 ça aurait sonné comme une langue morte. Je pense que c’est là que la plupart des pastiches de Lovecraft échouent. Ceux qui tentent trop de sonner comme lui finissent par paraître plats et sans vie selon moi.

Pensez-vous un jour revisiter un autre texte de HPL ?

Je viens d’achever l’écriture d’un autre texte à la Lovecraft, un long texte qui a été publié dans le dernier numéro de Weird Tales. Ça s’appelle Up from Slavery. Je suis fier de dire qu’il a remporté un prix Bram Stoker, c’est plutôt chouette.

Up from Slavery — Art par E.M Gist

Dans votre nouvelle, Tom est un musicien qui chante et joue de la guitare. On aurait pu s’attendre à une sorte de Robert Johnson, mais en fait, il n’est pas vraiment bon ! Était-ce une façon de casser les stéréotypes comme vous l’avez fait avec les clichés lovecraftiens ?

Oui tout à fait. Avoir des musiciens de blues noirs qui sont des incroyables artistes c’est trop facile. J’ai plutôt pensé que ce serait une bonne surprise s’il n’était pas si bon ! C’est une façon de jouer avec les clichés d’une façon que je trouvais plus intéressante.

Est-ce que votre nouvelle pourrait être vue comme une façon de « rattraper » l’horrible description de Big Apple faite par Lovecraft quand il vivait à Brooklyn ?

J’espère vraiment que ma description de New York, et de Harlem en particulier, rend justice à l’endroit mieux que ce que Lovecraft a pu mettre sur le papier. Je pense qu’on pourrait dire que j’ai écrit une lettre d’amour à ma ville, alors que Lovecraft avait écrit un poème empoisonné sur cet endroit.

Vers le milieu du livre, les points de vue changent. On vit l’histoire à travers les yeux de Malone, qui est le personnage principal dans le texte original de Lovecraft. Pourquoi ce changement ?

C’est vrai, je ne veux rien spoiler mais je peux dire qu’il est toujours intéressant (pour moi) d’envisager les histoires du point de vue de personnages qui n’ont pas de pouvoir, qui pourraient être en fait en danger. Dans la seconde partie du livre, c’est Malone qui est bien plus en danger que Tommy, ça avait donc du sens d’inverser.

Près de 100 ans après sa publication, le racisme de l’Horreur de Red Hookest toujours là. Pensez-vous que l’œuvre de Lovecraft devrait être effacée ou annulée ? Comment aborder l’œuvre de HPL aujourd’hui ?

Pas besoin d’effacer Lovecraft, Je ne pense même pas que ce soit ce que les gens qui le critiquent veulent. Les gens disent plutôt (que ce soit à propos de Lovecraft, des statues de la Guerre Civile ou de lois contre le port du hijab en public) que ceux parmi nous qui sont touchés ont le droit de discuter avec les pouvoirs en place. On a le droit de critiquer, c’est même un devoir, quand quelque chose semble injuste. Ça n’annule rien. Cela signifie juste qu’un groupe qui n’a pas l’habitude d’entendre la critique doit finalement la tolérer.

J’ai eu le grand plaisir de pouvoir poser des questions à Matt Ruff à propos de Lovecraft Country qui est sorti le même jour que La Ballade de Black Tom aux Etats-Unis. Que pensez-vous de son approche du racisme aux Etats-Unis qui consiste à rendre hommage et en même temps détourner les tropes lovecraftiens ?

J’ai beaucoup apprécié Lovecraft Country, et aimé la coïncidence qui a fait que nos deux livres sont sortis le même jour. Je pense qu’il y avait un sentiment d’ouverture à la critique de Lovecraft dans l’air. Et nous avons tous les deux eu l’occasion de partager nos visions. Quel cadeau.

Votre histoire se passe en 1924, en plein explosion du mouvement Harlem RenaissanceHarlem Unbound, (un supplément pour le jeu de rôle Appel de Cthulhu), invite les joueurs à explorer cette époque tout en en inversant la vision habituelle des minorités chez Lovecraft. Que pensez-vous de cette idée ?

J’adore l’idée de personnages, de toutes ethnies, genres, sexualités, classes … ayant la possibilité de jouer des héros ou des méchants et tout ce que qui situe entre.

D’ailleurs, pourquoi avoir choisi de ne pas évoquer ce contexte Harlem Renaissance ?

Je n’ai pas passé de temps sur la Harlem Renaissance parce que l’immense majorité des gens de Harlem de l’époque avaient très peu ou pas d’expérience avec ce courant à l’époque. En regardant en arrière, on aime à penser que tout le monde était impliqué dans les grands évènements de l’histoire, mais en fait la plupart vivait sa vie alors que l’Histoire se jouait au coin de la rue. Il y a beaucoup de livres sur des gens pris dans les grands / mémorables moments du passé. J’ai préféré placer cette histoire dans la vie quotidienne de Harlem, ce qui est glorieux aussi, d’une certaine façon.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? Allons-nous retrouver Tom ?

Je travaille en ce moment à adapter Black Tom pour la télévision. On verra ce que ça donne et si j’arrive à porter ces histoires à l’écran. Si c’est le cas, vous en entendrez sans doute parler !

Merci pour votre temps et ces réponses !

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