Alex Nikolavitch
Pour inaugurer cette série d’entretiens avec des auteurs et des artistes liés à l’oeuvre de H.P. Lovecraft nous avons eu le plaisir d’échanger avec Alex Nikolavitch.
Pour ceux qui ne te connaissent pas encore, pourrais-tu te présenter ?
Alors, je suis surtout connu, je crois, comme traducteur de comics américains, notamment des super-héros, et comme spécialiste du sujet. Après, je suis également scénariste de bandes dessinées et, depuis quelques années, romancier, plutôt dans le domaine de la fantasy.
Attaquons tout de suite avec Lovecraft !
Comment s’est passée pour toi la première rencontre avec ses textes ?
Te souviens-tu de quelle nouvelle il s’agissait ?
En fait, ma première rencontre avec l’univers de Lovecraft, ça a été des bandes dessinées d’Andreas, notamment les premiers Rork, et Cromwell Stone. Par la suite, je suis devenu rôliste, j’ai vu passer des références à Lovecraft (même si je n’ai pas joué tout de suite à l’Appel de Cthulhu), ça m’a intéressé, j’ai emprunté les Légendes du Mythe de Cthulhu à la bibliothèque, et j’ai passé une ou deux nuits blanches à cause de ça. Et j’ai été frappé par la continuité d’univers qu’il y avait entre ces auteurs (c’est une anthologie avec Lovecraft, mais aussi tous ses copains), les BDs que j’aimais, certaines ambiances de Moorcock, et d’autre choses.
J’étais ado, et ce vertige existentiel, cette espèce de nihilisme, ça m’a frappé. Ça m’a ouvert à des réflexions. Ça m’a parlé de façon très directe.
La Couleur Tombée du Ciel, découvert quelques années plus tard, que je trouve brillant. Mais je suis très fan aussi des Montagnes Hallucinées.
La Couleur, justement. Ou sinon, l’Appel de Cthulhu, qui synthétise pas mal de choses et dont la construction est assez épatante.
Je connaissais depuis quelques années les Argentins du studio Haus. On avait travaillé ensemble sur un projet qui avait capoté et on s’était jurés de conjurer ce mauvais sort en faisant autre chose ensemble. Comme je sais que dans leur pays, Lovecraft est apprécié, je leur ai tout de suite proposé cette bio. Leur style rétro et simple me semblait coller assez bien à l’entreprise de démystification que j’avais en tête : montrer HPL dans son quotidien et sa vie sociale, à cent lieues de la légende noire du « reclus de Providence ». Ce n’est qu’un peu plus tard que j’ai appris qu’ils avaient été les élèves d’Horatio Lalia (les Cauchemars de Cthulhu, chez Glénat), lui-même élève d’Alberto Breccia (le Mythe de Cthulhu, chez Rakham). Ils ont pris ma proposition pour un signe des Grands Anciens, du coup, comme l’occasion de poursuivre dans une tradition.
Y en a plein ! Breccia, déjà, avec son noir et blanc expressionniste assez dingue. Les adaptations moins connues d’Esteban Maroto, dont j’adore l’élégance du style. Patrick Pion et Mathieu Sapin ont fait une belle adaptation modernisée de La Maison de la Sorcière. Il y a les mangas très impressionnants de Gou Tanabe… Et un truc très marrant, que j’avais traduit et préfacé, La Malédiction qui s’abattit sur Gotham, de Mignola et Nixey, qui réinterprête tout le mythe lovecraftien dans l’univers de Batman, à moins que ce ne soit l’inverse, et qui est très ludique, je trouve. Et puis il y a le travail d’Alan Moore à ce sujet, très brillant.
Il y avait besoin d’une dizaine de traducteurs connaissant bien le sujet. Comme il se trouve que Jérôme Vincent, le boss d’ActuSF et Christophe Thill, le responsable du projet, me connaissent bien et connaissent mon boulot, ils m’ont proposé de m’y coller. Et venant d’eux et sur un projet pareil, ça n’était pas possible de refuser.
Y a toujours un peu de pression, mais bon, je suis traducteur depuis vingt ans, et j’ai eu à faire des trucs beaucoup plus compliqués dans ce domain
Traduire S.T Joshi, c’est comment ?
Assez simple, en fait. C’est un universitaire, à l’écriture assez factuelle et plate. Il n’est pas là pour faire de la littérature, mais pour compiler une somme définitive sur son sujet d’expertise. La seule difficulté, c’est de capter toutes les références et d’être carré.
Tu es décidément dans tous les beaux projets actuels ! On te retrouve aussi dans l’équipe de traducteurs de l’intégrale Lovecraft à paraître chez Mnémos, elle aussi très attendue. Peux-tu nous parler des textes sur lesquels tu travailles ? Quels sont les difficultés, les surprises qu’ils réservent au traducteur que tu es ?
Là, justement, c’est pas la même mayonnaise. Traduire des textes littéraires, c’est bien plus compliqué. Traduire un auteur culte comme HPL, c’est une pression de fou, déjà à mon propre niveau : j’aime cet auteur, je ne veux pas le trahir. Et… c’est dur… mais dur… J’ai beau m’amuser avec le langage dans mon propre travail, utiliser des termes désuets, des mots dans leur sens étymologique, filer des phrases complexes… HPL le fait lui aussi, mais à un tout autre niveau. Outre le décalage de langage lié au temps (ces textes ont à peu près un siècle), il y a le fait que l’auteur emploie des mots déjà hors d’usage à son époque, des tournures archaïques, des phrases à tiroir. C’est difficile. J’avais déjà eu ce genre de souci quand j’avais traduit les Autres Mondes, de Clark Ashton Smith, chez le même éditeur. Là, David Camus traduit tous les textes de Lovecraft seul, mais comme le projet a enflé démesurément avec le succès de son financement participatif, il a fallu d’autres traducteurs pour le reste, les correspondances, les collaborations. J’ai hérité de six textes écrits avec d’autres auteurs.
Ça se passe très bien. David est quelqu’un de passionné et de charmant. Il relira ces traductions et les corrigera au besoin, et il nous a fourni un glossaire de sa façon de traduire certains termes de Lovecraft, notamment tout ce lexique hors d’âge dont l’auteur était friand.
C’est une sorte de pastiche, un livre enquête composé d’éléments disparates, coupures de journaux d’époque, télégrammes diplomatiques, entretiens, extraits de thèses d’universitaires, et le lecteur navigue dedans pour comprendre qu’est-ce qui, en 1942, a tué le malheureux détective qui avait réuni tous ces textes. Le ton est très humoristique, très décalé et très référentiel. Ça devait sortir chez Leha au printemps 2020, mais le confinement a tout décalé.
Je viens de sortir un roman de fantasy chez les Moutons électriques, Les Canaux du Mitan, dans une ambiance un peu western et un peu freakshow. Un projet qui me tenait à cœur pour plein de raisons. Et je termine une biographie en BD de Youri Gagarine et Sergei Korolev, racontant les débuts du programme spatial soviétique.
En essayant de ne pas creuser mon retard déjà considérable dans mon travail…
Merci à Alex pour sa disponiblité ! Promis, la prochaine fois on parlera de son amour immodéré des calembours et autres jeux de mots acrobatiques.
Et allez jeter un oeil sur le blog d’Alex, la Nikolavitch War Zone.