Entretien aujourd’hui avec Silvia Moreno-Garcia, autrice et éditrice canadienne, pour parler des femmes dans / et la fiction lovecraftienne.

Bonjour Silvia, merci encore d’avoir accepté de répondre à mes questions. Pourriez-vous nous parler de vous ?

Silvia Moreno-Garcia — crédit photo Martin Dee 2017

Je suis l’autrice à succès de romans comme Mexican GothicGods of Jade and ShadowCertain Dark ThingsUntamed Shore, et un tas d’autres livres. J’ai édité plusieurs anthologies, parmi lesquelles She Walks in Shadows (a.k.a. Cthulhu’s Daughters récompensée aux World Fantasy Awards.)

De quand date votre rencontre avec Lovecraft ?

J’ai lu Lovecraft quand j’étais adolescente, juste après avoir lu Poe. Il a été un des premiers auteurs d’horreur que j’ai rencontré.

Quel est votre histoire préférée ?

The Colour out of Space et The Shadow Over Innsmouth.

En 2016, vous avez écrit une thèse intitulée « MAGNA MATER: WOMEN AND EUGENIC THOUGHT IN THE WORK OF H.P. LOVECRAFT ». Vous y écrivez que H.P. Lovecraft construit ses personnages féminins comme des « agents de chaos biologique ». Pourriez-vous expliquer cette idée ?

L’eugénisme était la croyance que l’on pouvait améliorer l’espèce humaine en empêchant ou encourageant la reproduction de certaines personnes qui étaient estimées supérieures ou inférieures. Quand on parle de reproduction, les femmes deviennent un enjeu majeur du discours eugéniste. Une partie de ce que l’on voit dans la culture populaire est la promulgation d’une femme et mère idéale. Et de l’autre côté de l’équation, on a des femmes « dangereuses » et de mauvaises mères : des femmes qui sont sexuellement immorales ou faibles, par exemple.

Pour les eugénistes, ces femmes sont une menace pour la société. Et dans l’œuvre de Lovecraft, quand on rencontre des femmes, elles sont également une menace pour la société. Pour le dire autrement : les Profonds d’Innsmouth ont bien dû avoir des mères.

Comment la description des femmes faite par Lovecraft peut-elle être reliée au mouvement eugéniste des annés 1920 aux Etats-Unis ?

Lovecraft correspondait fréquemment avec des femmes et admirait un nombre d’autrices. Mais Lovecraft, dans ses histoires, ne mettait pas en scène des femmes de façon évidente. Quand c’est le cas, il fait preuve d’une somme d’angoisses biologiques qui peuvent être rattachées à la pensée eugéniste de l’époque. Par exemple, dans The Dunwich Horror, Lavinia est une femme albinos, ce qui la rend biologiquement inapte, et son enfant inhumain est décrit comme « noir ». Il est une représentation monstrueuse du mélange des « races », ce qui était l’angoisse des eugénistes.

Vous êtes éditrice pour la maison Innsmouth Free Press. Quand et pourquoi avez-vous décidé de créer votre propre maison d’édition ?

C’était autour de 2009. J’ai rencontré une collègue autrice Paula R. Stiles, nous connaissions beaucoup de femmes et d’autrices de couleur qui étaient intéressés par la Weird fiction mais qui n’étaient pas beaucoup représentées. Nous avons pensé qu’il s’agissait d’un vivier inutilisé de talents dans lequel il serait intéressant de puiser.

Vous avez sorti une anthologie autour de femmes et du Mythe, intitulée She Walks in Shadows. Était-ce difficile de trouver de la fiction lovecraftienne écrite par des femmes ?

Beaucoup de femmes ont écrit des œuvres inspirées de Lovecraft, mais elles sont fréquemment oubliées ou effacées. Le blog Deep Cuts in a Lovecraftian Vein, tenu par Bobby Derie, dispose d’un énorme corpus de textes féminins.

Avez-vous rencontré des difficultés à convaincre des autrices à écrire des textes liées à un auteur si dur avec les femmes ?

Non, comme je l’ai dit plus haut, les femmes ont contribué au Mythe, mais elles ont été rapidement oubliées ou écartées. Dans le cas de mon anthologie, elle était motivée par le fait que les femmes n’étaient pas souvent invitées à participer des anthologies lovecraftiennes, pourtant je savais que nombre d’entre elles étaient intéressées par cette niche. Plusieurs des contributrices, comme Molly Tanzer et Gemma Files étaient des personnes que j’avais déjà publiées pour d’autres projets et qui avaient déjà écrit des textes lovecraftiens, ou avaient montré un intérêt pour ce genre et avaient travaillé dans d’autres genres d’horreur.

D’après vous, qu’y a-t’il de si spécial avec l’œuvre de HPL, 80 ans après sa mort, qui pousse les auteurs contemporains à se frotter au Mythe ?

C’est comme des Lego : on peut assembler les pièces pour obtenir ce que l’on veut.

Votre dernier roman Mexican Gothic, est selon le Guardian “du Lovecraft qui rencontre les sœurs Brönte en Amérique latine”. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cette teneur lovecraftienne ?

J’ai appelé un des personnages Lovecraft. Lovecraft était soucieux du passé, des secrets de famille et des généalogies compliquées, alors il y a de ça. Mais j’ai surtout essayé d’atteindre le sentiment de doute de The Yellow Wallpaper et les tropes des contes gothiques classiques.

Alors … Mexican Gothic devrait être adapté en série sur Hulu ! Quel est votre sentiment ?

Heureuse. Mais je dirais plutôt que ça pourrait devenir une série. Une option a été prise sur le livre et avec un peu de chance tout ça deviendra une vraie série un jour, mais ça peut prendre des années de développement pour le grand ou petit écran.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Mon prochain roman sera A Dangerous Eagerness (pour 2021) un roman noir situé à Mexico City à l’été 1971. Et mon roman de vampire Certain Dark Things sera aussi ré-imprimé l’an prochain.

Un grand merci Silvia !

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